Pourquoi la biodiversité devrait-elle être la priorité absolue de l'Afrique ?
La Journée mondiale de l'environnement, le 5 juin 2020, sera célébrée cette année, autour du thème de la biodiversité - un appel à l'action pour lutter contre la perte accélérée d'espèces et la dégradation du milieu naturel. L’objectif est de nous inviter à repenser la façon dont nos systèmes économiques ont évolué pour affecter notre environnement.
Bref aperçu de la biodiversité en Afrique
La perte de biodiversité est un défi mondial, car le capital naturel de la planète est gravement menacé par toute une série d'actions anthropiques. L'Afrique abrite une biodiversité remarquable, avec de nombreux mammifères et plantes endémiques en voie de disparition. L'Afrique est également immensément riche en forêts tropicales, savanes, prairies de montagne, mangroves, déserts, zones humides. Sintayehu (2018) estime que le continent contient une estimation d'un cinquième de toutes les espèces connues de mammifères, d'oiseaux et de plantes. La biodiversité a toujours joué un rôle essentiel dans le développement humain et le bien-être en Afrique. En fournissant de la nourriture, des services de santé, d'approvisionnement en eau et de qualité, ainsi que de nombreux autres services, elle constitue le moteur du développement socio-économique. En réalité, la plupart des économies africaines dépendent largement de leurs ressources naturelles telles que les terres agricoles, les forêts, les ressources en eau, les écosystèmes et les services écosystémiques. L'Evaluation des écosystèmes pour le millénaire (The Millenium Ecosystem Assessment) (2005) a conclu que l'écosystème africain fournit de multiples services écosystémiques nécessaires pour répondre aux besoins humains et maintenir les moyens de subsistance, tout en régulant les maladies et les systèmes climatiques, en soutenant la formation des sols et en fournissant des services d'écotourisme.
Les défis de la biodiversité africaine
Malgré les potentiels et les grandes opportunités que la biodiversité offre pour le développement de l'Afrique, le continent connaît encore un déclin sans précédent de sa biodiversité, dû à divers facteurs, notamment la croissance démographique, les pratiques agricoles extensives, l'urbanisation rapide, le développement des infrastructures, le trafic illicite, entre autres. On estime que la surexploitation et la dégradation des écosystèmes de la biodiversité entraîneront la perte de 50 % des espèces d'oiseaux et de mammifères d'Afrique, et de 20 à 30 % de la productivité des lacs d’ici la fin du siècle, ainsi que le déclin de la faune sauvage et de la pêche (PNUE-WCMC, 2016). En outre, les conflits armés ont causé des dommages importants à la biodiversité de l'Afrique, comme cela a été le cas dans de nombreux pays africains touchés par des conflits, avec des impacts énormes sur les zones protégées, en raison des activités militaires et des déplacements de population. La Côte d'Ivoire, la République démocratique du Congo, l'Angola et l'ensemble de la région des Grands Lacs en sont des exemples. Ces pays ont connu un déclin important de leurs populations d'animaux sauvages dans les parcs nationaux et les réserves de faune. On estime que 70 % des zones protégées d'Afrique ont été touchées par la guerre entre 1946 et 2010, avec des éléphants, des hippopotames, des girafes et d'autres grands mammifères victimes des combats et des citoyens affamés qui ont chassé les animaux pour leur viande et pour des marchandises commercialisables comme l'ivoire (Daskin et Pringle, 2018). La perte de biodiversité se combine également à de nombreux autres problèmes environnementaux tels que la pollution de la mer et de la terre par des déchets toxiques, des plastiques et des métaux lourds pour affecter la qualité de vie.
Le changement climatique est-il un facteur contribuant à la perte de biodiversité en Afrique ?
Le changement climatique est l'une des principales menaces qui pèsent sur la biodiversité et les services écosystémiques en Afrique. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Intergovernmental Panel on Climate Change - IPCC, 2013) (, le changement climatique devrait être l'un des pires facteurs de la perte de biodiversité au cours des 50 à 100 prochaines années ; il exacerbera les effets des menaces antérieures sur la biodiversité. Considéré comme la dernière menace émergente pour la biodiversité en Afrique, le changement climatique contribue au déclin des populations d'amphibiens, en raison de la réduction drastique du volume d'eau, suite à des conditions de sécheresse persistante, combinée à l'intensification des activités humaines le long des côtes (Sintayehu, 2018).
La protection de la biodiversité en Afrique constitue un enjeu de développement
La perte de biodiversité en Afrique modifie les structures et les fonctions des systèmes écologiques, compromettant ainsi les efforts déployés pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD 15 qui vise à "gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, et arrêter et inverser la tendance à la dégradation des terres et mettre un terme à la perte de biodiversité". Avec les pertes actuelles d'espèces et d'habitats naturels sur le continent, largement imputables à des facteurs humains et aux effets négatifs du changement climatique, le déclin de la biodiversité en Afrique devrait se poursuivre et affecter les progrès du développement de l'Afrique et la capacité du continent à se développer de manière durable.
Il est important de reconnaître les efforts déployés récemment par de nombreux pays africains pour protéger leur capital naturel en sensibilisant davantage leurs populations et leurs communautés sur les valeurs de la biodiversité et à son importance pour le développement socio-économique, en renforçant les capacités, en améliorant les connaissances, en créant des zones de protection, en conservant les points chauds de la biodiversité et en promouvant des solutions basées sur la nature. Toutefois, étant donné l'ampleur des défis, les pays africains doivent renforcer et intensifier leurs efforts pour inverser les tendances actuelles de la perte de biodiversité. Pour ce faire, ils doivent veiller à ce que la biodiversité devienne une priorité absolue dans leurs plans de développement.
La perte de la biodiversité doit devenir un sérieux sujet de préoccupation pour tous les gouvernements africains et toutes les parties prenantes, car la protection de la biodiversité permet de consolider les acquis actuels de l'Afrique en matière de développement et de préserver les besoins de développement des générations futures. Cependant, la protection de la biodiversité exige que nous repensions la façon dont nous considérons la biodiversité et que nous en fassions un élément à part entière de nos programmes de développement. Malgré les défis soulevés, il n'est pas trop tard pour inverser les tendances de perte de la biodiversité en Afrique. Compte tenu de son importance pour le développement de la plupart des économies, il est nécessaire que les gouvernements africains et leurs partenaires au développement incluent la biodiversité dans leurs plans de développement et leurs programmes de coopération.
Le développement et l'avenir de l'Afrique sont menacés si des mesures urgentes ne sont pas prises dès maintenant pour protéger la biodiversité, notamment plus d’un million d'espèces de plantes et d'animaux qui sont menacés d'extinction, 40 % d'espèces d'amphibiens et 33 % de récifs coraliens qui sont en danger.
Étant donné l'urgence de préserver notre bien-être par la protection de la biodiversité, les dirigeants africains doivent adopter des politiques audacieuses et investir dans des solutions basées sur la nature qui permettraient de réduire les impacts de l'agriculture sur la biodiversité, de promouvoir la restauration/réhabilitation des systèmes dégradés et des ressources naturelles, et de réduire les impacts des industries extractives et l'utilisation non-durable des ressources naturelles. Les organisations de développement doivent également fournir des mécanismes de financement spécifiques et innovants qui encouragent l'investissement dans la conservation et le paiement des services environnementaux. Pour être efficaces, toutes ces mesures doivent s'accompagner d'une bonne gouvernance des ressources de la biodiversité et s'inscrire dans le cadre des priorités nationales de développement.
En cette Journée mondiale de l'environnement, l’Heure de la Nature a sonné.
L'Afrique doit faire de la protection de son capital naturel et notamment de sa biodiversité la priorité des priorités, car elle constitue le socle sur lequel se construit son développement socio-économique. En ces temps difficiles imposés par la pandémie de COVID-19, elle-même résultant de l'interaction entre l'homme et la nature, c'est à la nature que nous faisons encore appel pour trouver le remède au COVID-19. Il est plus que jamais temps de reconsidérer notre relation avec la nature !
La Banque africaine de développement (BAD) est fortement engagée dans la conservation de la biodiversité et, pour célébrer la Journée mondiale de l'environnement 2020, elle a organisé, en collaboration avec le Ministère de l'Environnement et du développement durable de Côte d'Ivoire et le Programme des Nations unies pour l'environnement, une série de webinaires pour discuter des facteurs de perte de biodiversité et des solutions en matière de protection de la biodiversité terrestre et marine.